Interview de Tristana Carrasco, chef de projet Initiative 5% (Sénégal, Mali, République du Congo)

Tristana Carrasco est chef de projet santé publique et plaidoyer. Son rôle est de gérer et coordonner la mise en œuvre du projet Initiative 5% dans sa globalité, et de développer ses aspects plus spécifiques relativement à la composante « accès aux soins », qui demande une analyse des conditions d’accès existantes et des stratégies de plaidoyer à renforcer et développer.

 

L’Initiative 5% et le projet financé par le biais de ce fond, en quelques mots, qu’est-ce que c’est ?
C’est un projet qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le VIH/Sida, le Paludisme et la Tuberculose et qui s’intitule « Adaptation des programmes et services de santé du VIH/Sida, de la Tuberculose et du Paludisme pour les enfants et jeunes vivant en rue (EJDR) au Mali, en République du Congo et au Sénégal ». La France, deuxième contributeur auprès du Fond mondial de la lutte contre ces trois pathologies, a décidé, afin d’améliorer la mise en œuvre des subventions, de mettre en place ce nouveau mécanisme : une contribution indirecte auprès du fond à hauteur de 5%. La nouveauté de ce projet est que c’est une contribution attribuée directement aux bénéficiaires sans passer par le Fond mondial, et qui vise notamment à les accompagner dans l’exécution de ces subventions et à travailler sur un renforcement des capacités. Cette initiative est gérée par la nouvelle agence de coopération, Expertise France. Finalement, il y a donc deux types de canaux par lesquels on peut accéder à cette initiative : le premier fait appel à une expertise ponctuelle sur des missions données, un peu comme de la consultance ; le second, sur lequel le Samusocial International a pu avoir accès, soutient des projets sur des durées de 1 à 3 ans qui visent à intervenir sur des problématiques particulières qui nécessitent d’être renforcées.
Notre projet, en particulier, vise à contribuer au renforcement des capacités d’adaptation des programmes et services de santé dans les domaines du VIH/Sida, de la Tuberculose et du Paludisme aux besoins et contraintes spécifiques des enfants et jeunes vivant en rue. Deux sous-objectifs découlent de cet objectif général : 1) Renforcer les capacités des structures gestionnaires de services directs auprès des EJDR dans la mise en œuvre d’actions d’Education à la Santé adaptées à la situation spécifique de ces populations, 2) Diagnostiquer les contraintes existantes dans l’accès aux services de santé et dans la relation de soins et identifier des mesures concrètes d’adaptation.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à démarrer ce projet ?
Moi je n’étais pas là lorsque ça a commencé ! [rires]. En premier lieu, c’est un nouveau fond auquel le Samusocial International n’avait pas encore accédé, un nouveau bailleur, donc je pense qu’il y avait un attrait de la nouveauté et de tendre vers de nouvelles opportunités de financement auprès des dispositifs locaux. Ensuite, c’était une nouveauté en termes de domaine d’intervention, car ce projet est très axé sur la santé et qui cible trois pathologies particulières. C’était donc une porte d’entrée pour identifier de nouveaux partenariats institutionnels et opérationnels sur le terrain… Ce sont de nouveaux défis à relever !

 

Actuellement, où en est le projet ?
Initiative 5% a démarré le 1er janvier 2017. Actuellement on est à mi-parcours de l’année 1. Il faut savoir que souvent, le démarrage est consacré au diagnostic, qui permet de développer par la suite des actions pérennes adaptées au contexte et aux besoins prioritaires. A ce stade, on a pu lancer l’activité majeure du projet, l’enquête CAP (Connaissances, Attitudes, Pratiques des enfants et jeunes de la rue sur ces trois pathologies). En effet, puisque l’objectif de ce projet est de renforcer les capacités d’adaptation des programmes et services nationaux de santé aux problématiques spécifiques aux enfants et jeunes de la rue sur ces 3 pathologies, il fallait d’un côté évaluer quels étaient les besoins spécifiques des enfants et jeunes, et de l’autre évaluer le contexte institutionnel et opérationnel d’intervention et les modalités actuelles d’accès aux soins pour ces bénéficiaires. Cette enquête CAP consistait donc à collecter des données auprès des enfants et jeunes et à commencer une évaluation du contexte, des dynamiques et synergies en présence, des acteurs… Pour pouvoir analyser au mieux le terrain d’intervention.

 

Raconte-nous tes expériences lors de tes différentes missions (Sénégal, Mali) et ce que tu en as tiré.
Ces missions visaient à la fois à renforcer l’appropriation du projet par les équipes sur place, à lancer la phase de communication sur le projet auprès des partenaires opérationnels et institutionnels, et à lancer un pré-diagnostic de situation. Pour ce qui est de cette phase, ce qui était intéressant pour les Samusociaux était d’identifier des partenariats pertinents avec lesquels ils n’étaient pas forcément en contact, et qui n’ont pas toujours accès à ces populations. Il s’agissait de se rendre compte du rôle que vont pouvoir jouer les Samusociaux au sein de chaque pays comme lien entre ces nouveaux acteurs identifiés et la population cible, et ce qui va pouvoir être fait dans ce cadre, à savoir améliorer l’accès aux services de santé.
Je pense à deux expériences marquantes.
D’abord, globalement, je pense qu’être sur place permet de beaucoup mieux cerner le projet, de mieux comprendre les réalités du terrain notamment par la mise en œuvre de l’enquête CAP, qui était un sacré défi à relever pour les équipes. Cela a permis de renforcer les liens et de mieux travailler ensemble maintenant.
L’autre expérience marquante fut la rencontre au Mali avec un des programmes nationaux de lutte contre le VIH/paludisme/Sida. C’était frappant de voir qu’au niveau de ces échelons nationaux, il y a une méconnaissance profonde des spécificités de cette population, du degré de vulnérabilité des enfants et jeunes de la rue, et du manque voire de l’absence d’accès à des services de santé adaptés. En effet, les systèmes de gratuité existent mais ne comprennent que certaines populations et d’autres en sont exclues. Toute la complexité du projet est de faire comprendre à l’ensemble des acteurs intervenant dans le montage des politiques publiques de santé la spécificité de cette population et le fait qu’on est parfois dans le cas de jeunes qui ont entre 10 et 25 ans, voire au-delà, alors que les programmes de gratuité vont de 0 à 5 ans… D’où l’intérêt des séminaires qu’on va mettre en place en fin d’année dans chaque pays ciblé par le projet et qui réuniront les acteurs publics de santé aussi bien aux échelons opérationnels qu’aux échelons institutionnels nationaux qui sont à l’initiative des lois et réformes.
C’est vraiment l’intérêt de notre projet, car si les Samusociaux nationaux développent tous les jours des partenariats au niveau opérationnel pour avoir accès à des soins, il n’y a pas encore de stratégie globale mise en place pour l’accès aux soins, et c’est cela que nous souhaiterions développer sur ces trois pathologies.

 

Un souvenir particulier à partager avec les lecteurs ?

La rencontre au Mali avec l’ANAM (Agence Nationale d’Assistance Médicale). Au Mali, il existe un système pour que les « indigents » aient un accès gratuit à un panier de soins. C’est en lien avec notre défi d’intégrer les enfants et jeunes de la rue comme population clé, car depuis quelques années, le Mali a pu mettre en place un partenariat avec l’ANAM pour pouvoir intégrer les enfants et jeunes de la rue aux bénéficiaires de ce panier de soins gratuit. On les a rencontrés pour leur parler de notre projet et récolter des informations sur ce qui serait perfectible en termes de couverture. Je pense que c’est un bel exemple de collaboration qui fonctionne très bien et permet réellement d’améliorer l’accès aux soins des enfants et jeunes de la rue. Une réelle source d’inspiration…

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