A l’aune de son 16e anniversaire, le Samusocial International publie un cahier sur un concept clé dans l’approche des enfants et jeunes de la rue : la suradaptation paradoxale.

Olivier Douville, psychologue, anthropologue et psychanalyste, après avoir travaillé avec les équipes du Samusocial Mali (Bamako) et du Samusocial Burkina Faso (Ouagadougou) a proposé de prolonger des réflexions déjà existantes à propos de la résilience en amenant une notion, « la suradaptation paradoxale », laquelle s’est révélée féconde pour mieux situer cette réponse dramatique à l’exclusion qu’est « l’auto exclusion ». Voici ce qu’il nous en dit :

« Aller vers les mineurs les plus en danger dans les rues suppose des méthodes et une culture. Les équipes ne peuvent pas observer en reconduisant les préjugés du sens commun et en confondant l’état d’agitation avec le bonheur de vivre, l’excitation avec le tonus, elles ne sauraient déduire l’adaptation de façade du jeune à son environnement immédiat avec un signe de bonne santé physique et psychique.

Il faut se méfier des premières impressions et comprendre que, quel que soit l’état dynamique ou apathique de l’enfant ou de l’adolescent rencontré, toute adaptation à ce monde souvent cruel et destructeur qu’est la rue a un coût.

Ce coût, nous le pensons au Samusocial International dans un abord dynamique de l’enfant. Afin de mieux agir, nous devons apprendre à nos équipes et avec nos équipes à mieux voir les logiques de la survie dans la rue, à mieux comprendre le rapport au temps, à l’espace, et à autrui (le semblable et l’adulte) que ces jeunes élaborent, la façon aussi dont ils traitent leur corps, à mieux définir des moyens d’action qui vont du soin sur place à l’hébergement et à l’orientation.

Certains enfants semblent tant ne pas avoir besoin d’aide que l’on serait enclins à les trouver, paradoxalement, adaptés à la vie en rue. Ce serait alors ne pas entendre ce que dissimule (assez mal) l’indifférence dont ils peuvent faire montre vis-à-vis de nos présences et de nos initiatives. Or, ils sont terrorisés par l’idée même de devoir solliciter autrui, qu’il s’agisse de leurs compagnons d’infortune ou des travailleurs sociaux. L’exposition d’un jeune à la violence de la rue l’amène à des conditions psychiques où il ne parvient plus à différencier une présence hostile d’une présence secourable. Il se défend de ce vécu de menace constante par une mise en retrait de sa vie psychique.

La notion de « suradaptation paradoxale » a été élaborée à partir du travail effectué auprès des enfants, dans la rue, et vient désigner, de façon clinique, et sans les idéaliser comme des modèles fixés une bonne fois pour toutes, les modes de constitution du rapport au corps, à l’espace et au langage, de sujets en grande situation d’exclusion sociale et symbolique.

Elle permet, en un premier temps, de décrire une situation de terrain en apparence paradoxale. En effet, si nous nous attendons à ne rencontrer que des sujets apparemment traumatisés et apparemment victimes, alors nous risquons de détourner notre attention de ceux qui ont autant que d’autres, sinon davantage qu’eux, besoin de nos écoutes, de nos aides, au prétexte qu’ils ne se présentent pas à première vue dans la commotion psychique ou dans la plainte. En un second temps, elle permet de comprendre certaines modalités de contact entre les jeunes et l’équipe soignante et éducative. Pour des enfants suradaptés, la demande d’écoute, d’accompagnement et même de soin qui les concerne en propre, se fera en attirant l’attention des soignants sur un autre que lui. Dans cette forme de relation, un jeune ne peut demander assistance et soin qu’en se faisant le garde et le porte-parole d’un autre jeune qui, objectivement, va encore plus mal que lui ; mais c’est alors au risque que les difficultés psychiques dont il souffre ne soient pas observées de la maladie ou du mal-être du second qui prend «toute la place». En un troisième temps, cette notion permet de situer correctement, dans une perspective clinique, c’est-à-dire psycho-dynamique, des épisodes de régression nécessaire dans la prise en charge de certains de ces jeunes errants. Un enfant ou un adolescent «suradapté» a, en effet, besoin de laisser tomber les suradaptations rigides, et nous lui devons de l’aider à régresser pour reconstruire son identité, retresser ses liens avec lui-même et avec autrui, pour vivre enfin des rapports de confiance avec l’entourage, où il peut recevoir, donner, échanger. Il ne convient pas de s’alarmer d’assister à des régressions lorsqu’un « suradapté », se sentant en confiance et en sécurité, peut alors laisser tomber ses défenses et ses béquilles psychiques. »

A partir d’exemples de terrain tous issus des recherches menées auprès de divers Samusociaux, Delphine Laisney, coordinatrice des ressources techniques du Samusocial International, propose une vue d’ensemble des applications de cette notion. Préfacé par Xavier Emmanuelli, ce cahier thématique a été relu par Olivier Douville qui a précisé certaines dimensions théoriques et pratiques.

Vous pouvez le télécharger ici :

http://www.samu-social-international.com/portfolio/cahier-thematique-la-suradaptation-paradoxale/